On reste dans les senteurs avec ce nouvel article, mais dans un registre beaucoup plus léger. 🙂
La vanille, un arôme tellement galvaudé et pourtant si précieux (enfin vous l’aurez peut-être noté au prix des gousses !). La vanille est l’un des arômes préférés dans la population occidentale, avec un réel lien émotionnel entre le consommateur et la vanille, ce n’est pas mon Tendre qui me contredira ? 😉 Néanmoins, on note des différences inter-pays en termes de préférences. Les pays d’Europe du Nord par exemple préfèrent des notes moins intenses qu’en Europe du Sud.
Originaire du Mexique
La vanille, qui fait partie de la famille des orchidées, était considérée comme la fleur noire des aztèques, qui agrémentaient de vanille une boisson épaisse à base de cacao (mmh, cela rappelle fort le chocolat pays des Antilles, pour ceux qui connaissent, même si celui-ci a été enrichi avec bien d’autres épices (cannelle, muscade…)).
La vanille était alors produite par les Totonaques, qui vivaient dans les régions côtières du golfe du Mexique, qui la fournissaient aux aztèques. Puis les Espagnols découvrent la vanille en arrivant sur les continents américains au début du XVIème siècle. Petit à petit le commerce international va apparaître, mais le Mexique reste le principal pays producteur, jusqu’au milieu du XIXème siècle. Toutes les tentatives de culture de la fleur hors de son milieu indigène se sont soldées par des échecs (en raison de l’absence de pollinisation naturelle par un insecte du Mexique). La cour du roi de France y prend goût et Louis XIV essaie de l’implanter à la Réunion (alors île Bourbon). Là aussi ce fut un échec.

Un belge pratique enfin la première pollinisation artificielle en 1836 ! Le procédé de pollinisation qui est encore utilisé aujourd’hui aurait été créé quelques années plus tard par un jeune esclave de l’île Bourbon (Edmond Albius, célèbre localement !). L’île devient alors la première zone de production mondiale (alors qu’aujourd’hui, la production locale n’excède plus 4 tonnes par an, avec environ 150 producteurs (source Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt de La Réunion)).
La culture de la vanille a été introduite à Madagascar vers 1880, a priori par les planteurs de l’île Bourbon voisine. Aujourd’hui encore, même si les origines se sont diversifiées, le pays reste le principal producteur (les volumes de production de vanille sont estimés à 2000 tonnes environ pour Madagascar (saison 2017/2018), 170 tonnes pour la zone Indonésie, Papouasie Nouvelle-Guinée & Inde, 15 tonnes pour Tahiti et au maximum de 100 tonnes pour les autres origines (Mexique, Ouganda, La Réunion, Comores…).
La vanille fut aussi longtemps cultivée aux Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique), mais elle a aujourd’hui malheureusement quasiment disparu, avec un recentrage sur la canne et la banane.

Mode de production de la vanille
On distingue différentes variétés : la vanille Planifolia (la plus répandue), la variété Pompona, et la Tahitensis (comme son nom l’indique vanille de Tahiti), chacune ayant un profil aromatique différent. Il existe aussi des variétés hybrides.
Dans le cadre de l’une de mes précédentes fonctions, j’avais eu l’opportunité d’aller faire un reportage sur la vanille à Madagascar, dans le nord-est du pays où est concentrée une majeure partie de la production (région de la « Sava » (Sambava, Antalaha, Vohémar et Andapa)). Je n’avais alors pas la moindre idée de la façon dont la vanille poussait. Les gousses de vanille poussent sur des lianes, qui se développent sur des supports naturels à l’état sauvage (arbustes ou arbres) ou des treilles ou tuteurs dans les cultures. La multiplication peut se faire facilement par bouturage, et il faut attendre 3 ou 4 ans avant qu’un pied de vanille ne donne ses premiers fruits. A l’état sauvage, on les trouve plutôt en sous-bois, sans ensoleillement direct. A cette période, on recensait peu de cultures intensives sous ombrières à Madagascar (je ne sais pas si cela a changé depuis ?), car cela représentait des investissements importants, une culture difficile à maîtriser (les plants avec une proximité trop importante sont d’autant plus sensibles aux parasitoses) et les rendements n’étaient pas forcément plus élevés. Les cultures de brousse donnent d’ailleurs souvent une vanille de meilleure qualité que celles issues de cultures proches du littoral.

A Madagascar, la floraison des lianes de vanille a lieu vers octobre. Une fois la fleur éclose, le paysan producteur dispose d’une seule journée pour la pollinisation, qui se fait encore aujourd’hui manuellement. Puis 8 à 9 mois s’écoulent entre la floraison et la récolte des gousses.
Après cueillette, la vanille verte (qui ressemble à un gros haricot vert) est échaudée quelques minutes dans une eau à 60-65°C, à la fois pour empêcher l’ouverture de la gousse (on parle de déhiscence) mais surtout pour favoriser certaines réactions enzymatiques qui vont donner naissance aux composés d’arômes (cela m’avait amusée de noter que l’odeur dégagée à cette étape ressemblait justement à celle que l’on peut sentir lorsque l’on fait cuire des haricots verts à la vapeur !). La vanille est ensuite égouttée, placée dans des couvertures à l’abri de la lumière pendant 24 à 48 heures (étuvage).


Les gousses seront ensuite séchées au soleil pendant une à deux semaines (elles sont en fait exposées au soleil pendant quelques heures chaque jour, et maintenues au chaud sous couvert durant le reste de la journée). Viendra ensuite le séchage sur claies sous abri pendant quelques semaines supplémentaires, puis maturation en caisses pendant 2 à 3 mois. C’est à ces conditions que l’on obtiendra une gousse de vanille stabilisée, avec un degré d’humidité adéquat. Si le séchage est insuffisant, il peut y avoir développement de notes phénoliques indésirables. Bien séchées, elles peuvent en revanche se conserver plusieurs années.




Le caractère encore fortement artisanal, sans mécanisation, contribue forcément au prix de la vanille. Comme d’autres matières premières, elle est aussi dépendante des conditions climatiques ou autres (épisodes de parasitoses, comme la fusariose par exemple). C’est ainsi que la vanille voit ses cours fluctuer fortement selon les périodes. S’ajoutent à cela des pratiques de spéculation lorsque la vanille se fait plus rare. Une certaine instabilité des prix s’est ainsi développée depuis le début des années 2000 : les cours sont par exemple passés de moins de 50 $/kg en 1999, pour s’envoler à 350 $ en 2002 puis 500 $/kg en 2003, un niveau record. Cela a eu pour effet une forte hausse des plantations à Madagascar, chacun voulant profiter de ces opportunités. C’est à cette période que d’autres pays se sont mis à produire, comme l’Inde, Ouganda, la Papouasie Nouvelle Guinée (Madagascar étant le principal pays producteur, il impose le niveau des cours au niveau mondial)… avec des mouvements spéculatifs. Ces prix très élevés ont incité les industriels à s’orienter de plus en plus vers la vanille de synthèse (vanilline). La demande pour la vanille gousse a de fait baissé, ce qui a interrompu la spirale inflationniste et les cours de la vanille se sont effondrés à 25$/kg. Lorsque les prix sont bas, les petits producteurs se découragent et se désengagent alors de cette culture, ce qui affecte toute la filière locale. Les prix sont restés bas jusqu’en 2013 avant d’augmenter à nouveau progressivement : 100 $ en 2015, puis 200 $ en 2016, avant un nouveau pic à 425 $ en2017 en raison du cyclone tropical Enawo qui a frappé Madagascar. Cet événement climatique a affecté 30 % des plantations de vanille du nord-est de l’île (source Agence Ecofin).

Ces intérêts économiques encouragent malheureusement aussi de mauvaises pratiques culturales (la course au rendement !), avec par exemple une récolte précoce de la gousse avant maturité. Le taux de vanilline dans la gousse est alors réduit. Ecofin évoque également l’emballage des gousses sous vide, pour préserver un taux d’humidité élevé (et donc un poids supérieur). Cependant, comme je vous le disais précédemment, un séchage inapproprié favorise le développement de composés phénoliques (ou autres composés indésirables) qui nuisent au profil aromatique de la vanille.
En 2008, Madagascar recensait plus de 75 000 paysans producteurs de vanille, avec une surface moyenne par paysan inférieure à 0,5 hectares, ce qui est très peu ! (ils seraient 80 000 planteurs aujourd’hui). Ceux-ci vendent leur production aux collecteurs-préparateurs, qui revendent ensuite eux-mêmes aux exportateurs. On distingue différentes qualités de vanille. C’est la qualité « noire gourmet », ayant le taux de vanilline le plus élevé, qui est utilisée comme vanille de bouche. Une majeure partie de la production est en fait destinée à l’extraction (pour la production des essences et de la vanilline). Se sont aussi développées des filières biologiques ou équitables (à noter qu’il y a 10 ans, avec une majorité de cultures de brousse, très peu (ou pas) de produits phytosanitaires étaient utilisés, même en période de parasitoses (je ne sais pas si cela a changé depuis). De fait les plants étaient de toute façon de qualité biologique, même en l’absence de certification.
Il faut savoir que dans les produits agroalimentaires, l’utilisation de vanille gousse est rare. On utilisera au mieux de l’arôme naturel de vanille, ou à défaut, de la vanilline (arôme vanille de synthèse). Le plus noble reste « l’extrait » de vanille, essence extraite directement à partir de la gousse.
Pour resituer les choses car là j’ai lu beaucoup d’approximations ou de choses fausses, un peu d’éclairage sur les définitions. La réglementation européenne (Directive « Arômes » 88/388/CEE du 22/06/88 pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin 😉 ) définit les :
- Préparations aromatisantes : elles sont obtenues à partir de matières premières naturelles (végétales mais aussi possiblement animales), via des procédés physiques biotechnologiques (usage d’enzymes ou fermentation microbienne). L’extrait de vanille (macération dans un mélange alcool/eau puis percolation) ou une huile essentielle d’agrumes (distillation), entrent dans cette catégorie.
- Les substances aromatisantes : ici il s’agit de molécules isolées, chimiquement définies (contrairement à la préparation où l’on a un mélange de composés)
- Elles seront soit naturelles (procédés d’obtention identiques aux préparations aromatisantes)
- Soit obtenues par synthèse chimique mais reproduisant quelque chose qui existe dans la nature (on parle alors de « nature identique »)
- Soit obtenues par synthèse chimique mais aboutissant à quelque chose qui n’existe pas dans la nature. Il s’agit alors d’une substance aromatisante artificielle.
- On peut citer par ailleurs les arômes de transformation (arômes de Maillard) obtenus par chauffage et les arômes de fumée (utilisés dans les procédés de fumage lorsque l’on n’utilise pas de produits de combustion) (c’est la différence par exemple entre un aliment qui sera spécifié « fumé au bois de hêtre » versus un autre où pas de spécification 😉
Ces différentes substances pourront être mélangées entre elles pour constituer l’arôme lui-même (vous croyiez qu’un arôme ne contenait qu’une seule molécule ? que nenni ! il y a tout d’abord un support (cela peut être du sucre, du sel ou même de la farine), auquel vont être ajoutées les substances aromatisantes, le plus souvent en mélange (c’est comme cela qu’il est possible d’élaborer des arômes de vanille contenant moult nuances, idem pour un arôme orange, chocolat, etc.), mais aussi d’autres substances (additifs d’arômes) qui vont aider à sa conservation, ou son utilisation (bon, tout ceci est très réglementé, mais on est déjà bien loin de l’essence de vanille !)
Et donc selon le même principe, on pourra avoir des arômes naturels, nature identique, ou artificiels.

Ainsi, un arôme vanille contiendra en majorité de la vanilline (naturelle, nature identique) ou de l’éthylvanilline de synthèse, mais aussi beaucoup d’autres molécules ou substances aromatisantes qui vont permettre d’élaborer énormément de nuances aromatiques différentes.
Vous saurez désormais ce que vous utilisez (un consommateur averti en vaut deux !). En résumé, optez pour de la vanille gousse de qualité (mon bocal de sucre de canne est délicieusement parfumé à la vanille grâce à une gousse que j’y avais placée il y a un bon moment), ou de l’essence de vanille (si vous avez des recommandations sur des lieux d’approvisionnement, n’hésitez pas à laisser un commentaire !)
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