Halte aux idées reçues : Minéraux et vitamines

Cette idée de rubrique m’est venue récemment. A la base ce devait être un article.. mais qui restait en suspens car alimenté progressivement par de nouveaux sujets. Alors plutôt que vous assommer d’un article fleuve, ce sera « un post : un sujet ». Et cette rubrique « halte aux idées reçues » sera alimentée régulièrement. 😉

Alors aujourd’hui, on va parler vitamines et minéraux. On trouve sur bon nombre de blogs et sites personnels une même information relayée, selon laquelle à 100°C, on aurait une précipitation des sels minéraux, rendus non assimilables. Forcément en tant que biochimiste, ceci m’a un peu interpellée. Je me suis demandé d’où venait cette info, et si des études avaient été réalisées sur le sujet. Et bien le fait est que je n’ai retrouvé aucune source sérieuse mentionnant ce point. Cette information circule essentiellement sur des blogs ou les réseaux sociaux (facebook, instagram…) et est souvent reprise exactement dans les mêmes termes. Mon hypothèse : une information erronée ou fausse lancée (par le lobby des cuit-vapeurs ??? 😉 , puis reprise et disséminée largement (en toute bonne foi sans doute). C’est tous les dangers d’internet. Discerner le vrai du faux.

Voyons ensemble ce qu’il est en des différentes affirmations retrouvées concernant les vitamines et minéraux.

Enzymes et chaleur

« 50°C = destruction d’une partie du capital enzymatique ». Les enzymes sont des protéines, donc des enchaînements d’acides aminés. Elles sont dotées d’une structure ternaire (elles se replient sur elles-mêmes et acquièrent une structure 3D) voire quaternaire si l’enzyme est constituée de plusieurs sous-unités. La chaleur déstabilise les différentes liaisons qui permettent ces structures ternaires et quaternaires (liaisons hydrophobes, liaisons hydrogène, forces électrostatiques, ponts di-sulphures…). La protéine perd alors son activité. Mais cette température d’inactivation est variable. Il existe des enzymes thermostables.

fruit-3134843_1920

Vitamines et cuisson

« 60°C = destruction de la vitamine C ». Ceci n’est pas vraiment correct, même si la vitamine C est effectivement la plus instable de toutes les vitamines. Pas correct dans le sens où de nombreux facteurs entrent en compte dans sa dégradation. Elle est sensible à l’oxydation (présence d’oxygène) (autrement dit si vous vous faites un jus de fruit, mieux vaut le boire fraîchement pressé !), mais aussi à la lumière, à la chaleur… Son niveau de dégradation va aussi dépendre du pH du milieu, du taux d’humidité, de la durée du traitement thermique, etc. Si vous cherchez des sources fiables (publications ou ouvrages scientifiques), vous trouverez des études sur les cinétiques de dégradation dans différents aliments ou vis-à-vis de différents types de traitements, mais pas de température bien établie. Tous les végétaux n’ont pas non plus la même sensibilité à la cuisson (des pommes de terre cuites à la poêle perdront par exemple deux fois plus de vitamine C que des poivrons cuits de la même façon).  Néanmoins, une chose est sûre, la vitamine C étant hydrosoluble, les pertes seront d’autant plus importantes avec une cuisson à l’eau ou un blanchiment (perte de la vitamine C dans l’eau de cuisson). 

Et les autres vitamines ?

Parmi les autres vitamines hydrosolubles, la vitamine B1 (thiamine) est presque tout aussi instable que la vitamine C. Très soluble dans l’eau, elle est aussi très sensible à la chaleur (en pH neutre ou basique). Mais là encore pas de température type, cela dépend de la matrice (ou aliment), du mode de cuisson, du temps de cuisson… 

Autre vitamine du groupe B, la vitamine B9 (folates) est bien moins hydrosoluble. Mais elle reste très sensible à la lumière, à l’air, aux pH extrêmes… Les études décrivent souvent une perte de 50 à 70% à la cuisson, mais là encore, pas de température type. A noter que sa dégradation va être limitée par la présence de vitamine C. A l’inverse, la présence de fer ferreux (pro-oxydant) favorise sa dégradation.

Les niacine (vitamin B3), biotine (vitamin B8) et acide pantothénique (vitamine B5) sont quant à elles plutôt stables.

A l’inverse, parfois le traitement thermique augmente la biodisponibilité des nutriments, c’est le cas de la vitamine B12, du lycopène (la tomate cuite est une meilleure source de lycopène que la tomate crue), du bêta-carotène ou du fer.

Du côté des vitamines liposolubles : elles sont détruites par des processus autocatalytiques comparables aux dégradations que subissent les acides gras polyinsaturés. Les catalyseurs de ces dégradations sont la lumière, l’air, les métaux de transition (notamment le Fer et le Cuivre), et les radicaux libres. La vitamine E par exemple sera surtout dégradée en présence de facteurs pro-oxydants (présence d’oxygène, de métaux et de lumière). La présence d’antioxydants limitera sa dégradation. Il en est de même pour la vitamine A. Ainsi, si l’on compare la cuisson d’un œuf cuit dur, où le jaune est protégé par la coquille, versus des œufs battus en omelette, et bien les pertes en vitamine A sont de 11% pour l’œuf cuit dur, versus… 43% dans l’omelette ! (le jaune ayant été battu a été davantage mis en contact avec l’oxygène) (bon ceci dit oubliez l’œuf cuit dur, préférez-lui l’œuf à la coque !)

bell-pepper-1302126_1920

Les sels minéraux

On en arrive aux fameux minéraux qui m’ont donné l’idée de cet article ! 😉 « 100°C = précipitation des sels minéraux, rendus non assimilables ».

Et bien je peux vous assurer que j’ai cherché, longtemps, des sources fiables qui décriraient ce phénomène de précipitation sous l’effet de la chaleur. Et bien Rien. Nada. Que tchi (je parle de sources fiables (publications ou ouvrages scientifiques via google scholar, pub med et autres), pas de citations sur des blogs ou sites perso).

La plupart des sources indiquent même plutôt le contraire. Notamment pour les aliments qui contiennent des tanins ou de l’acide phytique (céréales ou certains légumes). Ces tanins ou l’acide phytique piègent en effet les minéraux pour former des complexes insolubles et réduisent leur biodisponibilité. De nombreuses études décrivent cette faible biodisponibilité des minéraux dans les végétaux, liée à la présence de phytates (inhibiteur majeur de l’absorption du fer et du zinc).  Certains légumes contiennent aussi des quantités importantes de polyphénols ou de tanins qui inhibent l’absorption du fer.

Parfois la cuisson va ainsi au contraire augmenter la biodisponibilité de certains minéraux. Concernant l’acide phytique (présent dans les céréales, les légumineuses…), c’est le trempage, la germination ou la présence de levain (dans le pain au levain par exemple), qui vont permettre de dégrader l’acide phytique. Mais là encore, cela peut dépendre des minéraux : la biodisponibilité du zinc peut être diminuée par la cuisson (cas de la cuisson sous pression, ce qui est peut-être un cas particulier) alors qu’elle est augmentée pour le fer.

Ne figurent ici que quelques références parmi les nombreuses publications allant dans le même sens que j’ai pu identifier.

Donc, en résumé : l’une des raisons pour laquelle la teneur en minéraux pourrait être moindre dans des légumes cuits par exemple, c’est le mode de cuisson, et notamment la cuisson à l’eau, car les minéraux vont en partie se retrouver dans l’eau de cuisson (qui est souvent jetée). Il vaut donc mieux privilégier une cuisson à la vapeur, ou à l’étouffée. Mais, non les minéraux ne précipitent pas à 100°C. Ce qui m’inquiète un peu plus, c’est que cette information a même été retrouvée sur le site du laboratoire Nutergia (que je considérais pourtant comme sérieux).

Et d’ici là, méfiez-vous des contrefaçons ! comme disait Karl Zéro ! 😉

 

 

10 commentaires sur “Halte aux idées reçues : Minéraux et vitamines

Ajouter un commentaire

  1. bonjour, merci pour cet article. Ravie de lire que les minéraux ne sont pas détruits par la cuisson, j’imaginais(chimiste de formation), les minéraux doivent tenir à haute température.
    Quels enzymes sont thermostables svp? Si l’on boit l’eau de cuisson pour garder la vitamine C (si elle est encore là / pas détruite) et les minéraux, c’est ok? la cuisson à la vapeur même douce, finalement tout part dans les 4L d’eau qui ne se boit pas…Merci d avance

    J’aime

    1. Bonjour Juliette, comme quoi, la chimie a du bon (sens) ! 😉
      concernant votre question sur les enzymes, le sujet est vaste, les enzymes sont très nombreuses. Certaines peuvent être actives jusqu’à plus de 80°C voire au-delà. Vous parlez d’enzymes que l’on peut trouver dans l’alimentation ? ou de nos propres enzymes ?
      Concernant la vitamine C, il est illusoire d’espérer en bénéficier en buvant l’eau de cuisson des aliments étant donné qu’elle est très instable (sans doute l’une des plus sensibles à la température et à l’oxydation, sans compter le pH etc.) Pour faire le plein de vitamine C, on mise sur le cru.
      Par contre effectivement vous récupérerez les minéraux qui sont passés dans l’eau de cuisson (pour cela que d’un point de vue minéraux, la soupe est ok car on mixe les légumes avec l’eau de cuisson, par contre si l’on ne mange que les légumes, mieux vaut privilégier la cuisson à la vapeur que la cuisson à l’eau (légumes immergés)
      Enfin concernant la cuisson à la vapeur, non tout ne part pas dans l’eau puisque les nutriments sont piégés dans la matrice (à la limite il va y avoir peut-être un peu de pertes en surface, mais relativement peu) (je parle ici des nutriments qui ne sont pas sensibles à la chaleur).
      en espérant que cela réponde à vos questions !

      J’aime

    1. bonjour, à quelle partie de l’article fautes-vous allusion ? Concernant les vitamines, vous trouverez ces informations dans tout bon libre de biochimie. Quant aux minéraux, vous avez des liens vers des exemples d’articles scientifiques insérés directement dans le texte.

      J’aime

      1. Bonjour, Et votre bon livre de biochimie ne fait donc pas mention de température de dégradation des vitamines? Si je me réfère a des sites de publication savantes tels que MDPI, ResearchGate ou NIH, il y a bien des températures de dégradation des vitamines. Je vous invite a consulter ces sites, qui comme vous le savez sont très sérieux.
        Qui plus est, certains de vos propos concernant la dégradation de l’acide phytique sont erronés. Ou bien les ai-je mal interprété? Car vous semblez dire que la chaleur, entres autres, permet de dégrader l’acide phytique des végétaux (je cites: « Parfois la cuisson va ainsi au contraire augmenter la biodisponibilité de certains minéraux. Concernant l’acide phytique (présent dans les céréales, les légumineuses… »). Or, cette affirmation est fausse. La chaleur ne permet pas de dégrader l’acide phytique. Même le trempage n’est pas suffisamment efficace pour une dégradation optimale de l’IP6. La méthode la plus efficace actuellement contre cet anti nutriment est le levain, mais cela s’applique évidemment uniquement sur le blé, notamment pour le pain.

        J’aime

  2. Bonjour,

    je découvre votre travail j’apprécie le sérieux avec lequel vous abordez vos sujets !

    Je profite de la section commentaire pour vous poser une question qui me taraude depuis un moment mais à laquelle je ne trouve pas de réponse.

    On entend souvent que l’alimentation cuite serait problématique du fait de la destruction des enzymes contenues dans les aliments par la chaleur.

    J’entends qu’effectivement, les hautes températures de cuissons peuvent déstructurer voire détruire les enzymes des aliments.

    Mais est-ce vraiment un souci ? Nous sommes censés produire nos propres enzymes.

    Ma question est la suivante : Les enzymes des aliments continuent elles à jouer leur rôle d’enzymes en arrivant dans notre estomac ? Ne sont-elles pas plutôt digéré au même titre que n’importe quelle protéine ?

    Merci d’avance

    J’aime

    1. Bonjour Félix,
      Merci pour votre message.
      Et merci pour votre questionnement pertinent concernant les enzymes. L’idée que les aliments crus sont intéressants (entre autres) pour leur apport en enzymes est largement relayée dans le milieu naturo.
      Mais en tant que biochimiste, je suis toujours restée dubitative.
      Les enzymes (qui sont des protéines) ont une structure ternaire voire quaternaire, structure qui est indispensable à leur fonction. Or cette structure ternaire ou quaternaire est très facilement détruite par différents facteurs : chaleur, acidité, …
      De fait, lorsque ces enzymes arrivent dans l’estomac, elles sont majoritairement dénaturées et perdent leur fonction. Dire qu’elles contribuent à notre digestion est donc sans doute inexact (au mieux, elles resteront sans doute très peu de temps actives dans notre estomac). (c’est pour cette raison que la plupart de nos propres enzymes digestives sont relarguées dans le système digestif en aval de l’estomac, à un endroit où le pH est plus élevé, ce qui leur permet de rester fonctionnelles (avant l’estomac, nous n’avons gère que l’amylase salivaire, un peu de lipase salivaire et de lipase gastrique).
      En espérant avoir répondu à vos interrogations !

      J’aime

Laisser un commentaire

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑